
Une tension juridique et diplomatique oppose le gouvernement tchadien à la communauté internationale des avocats, après l’arrestation de l’ancien Premier ministre Succès Masra le 20 mai dernier.
L’arrestation et l’incarcération de Succès Masra, homme politique et ancien Premier ministre tchadien, le 20 mai 2025, ont déclenché une crise autour des droits de la défense qui dépasse désormais les frontières nationales. Au cœur du conflit : le refus catégorique du gouvernement tchadien de laisser des avocats français défendre l’ancien dirigeant.
Pour assurer sa défense, Succès Masra a fait appel à deux avocats français reconnus, Me William Bourdon et Me Vincent Brengarth, qui devaient intervenir aux côtés de leurs confrères tchadiens. Le 21 mai, ces derniers ont publié un communiqué annonçant leur intervention et formulant des réserves sur la procédure en cours.
La réaction du gouvernement tchadien n’a pas tardé. Le 22 mai, le porte-parole gouvernemental Gassim Chérif Mahamat a publié un communiqué officiel déclarant qu’il était «désormais révolu, le temps où des avocats étrangers pouvaient venir, sous des prétextes fallacieux, influencer ou dicter le cours de la justice dans des États africains». Lors d’une interview télévisée, le ministre a été encore plus explicite, affirmant que les avocats français ne fouleront pas le sol tchadien.
Cette position gouvernementale entre pourtant en contradiction avec plusieurs textes juridiques. L’Accord judiciaire signé le 6 mars 1976 entre le Tchad et la France, ratifié par les deux États, prévoit expressément dans son article 27 que «les avocats inscrits au barreau français peuvent assister ou représenter les parties devant toutes les juridictions tchadiennes, tant au cours des mesures d’instruction qu’à l’audience, dans les mêmes conditions que les avocats inscrits au barreau tchadien».
Par ailleurs, le Tchad a ratifié le Statut de Rome de 1998, constitutif de la Cour pénale internationale, qui garantit à toute personne le droit de choisir librement son avocat.
Face à cette situation, la Conférence Internationale des Barreaux (CIB) a publié le 26 mai un communiqué de presse particulièrement ferme. L’organisation réfute catégoriquement l’allégation selon laquelle l’intervention des avocats étrangers constituerait une ingérence dans les affaires intérieures du Tchad et rappelle que cette intervention relève pleinement de l’exercice des droits de la défense.
La CIB souligne que le gouvernement tchadien «viole un des fondements de l’État de droit, en ce qu’il remet en cause le libre choix de l’avocat par la personne poursuivie». L’organisation exprime également son soutien au barreau tchadien et approuve le communiqué publié le 23 mai par le bâtonnier Djerandi Laguerre-Dionro.
Le gouvernement tchadien justifie sa position par la défense de la souveraineté nationale et met en avant les compétences des avocats locaux. Le porte-parole gouvernemental a rendu hommage aux avocats tchadiens qui sont formés et expérimentés et n’ont de leçon à recevoir de personne, rappelant que le Tchad est un État souverain, doté d’institutions républicaines solides, en particulier d’une justice indépendante.
Cette crise illustre la tension persistante entre l’affirmation de la souveraineté nationale et le respect des engagements internationaux en matière de droits fondamentaux. L’issue de ce conflit pourrait avoir des répercussions importantes sur les relations judiciaires franco-tchadiennes et plus largement sur la coopération juridique internationale en Afrique.
La CIB a appelé à la mobilisation de toutes les organisations internationales concernées afin que les droits de la défense soient pleinement et effectivement respectés en République du Tchad, laissant présager une montée en puissance de cette crise diplomatico-juridique.