Abdellatif Ibrahim Djibrine, président de l’Association des Jeunes engagés pour le développement humain (AJEDH), lance un cri d’alarme : les jeunes diplômés de la province du Sila, dans l’est du Tchad, seraient systématiquement exclus des opportunités professionnelles portées par les acteurs humanitaires dans leur propre région. Dans une lettre ouverte adressée au Délégué du gouvernement provincial et aux organisations nationales et internationales, ce militant de 26 ans dénonce une « marginalisation inacceptable » et réclame justice sociale.
« Nos diplômes valent-ils moins que ceux des autres ? »« Comment expliquer que des ONG recrutent des jeunes d’autres provinces pour collecter des données *ici*, alors que nos frères locaux sont réduits au chômage ? », interroge Abdellatif, joint par téléphone. Selon lui, cette pratique, répandue parmi les structures opérationnelles au Sila, prive les diplômés de la région de précieuses expériences professionnelles et perpétue un cycle de dépendance.
« Nous ne demandons pas la charité, mais l’égalité des chances », insiste-t-il. Son association, l’AJEDH, recense plusieurs jeunes diplômés (bac +3 à bac +5) sans emploi dans la province, majoritairement formés en sociologie, agronomie ou gestion. Des profils pourtant adaptés, souligne-t-il, aux activités des ONG présentes sur place. Le Sila, région frontalière du Soudan, compte parmi les zones les plus pauvres du Tchad. Malgré une présence marquée d’acteurs humanitaires luttant contre l’insécurité alimentaire et les conflits agriculteurs-éleveurs, le chômage des jeunes y atteint des niveaux critiques.
« Les organisations internationales parlent d’autonomisation, mais elles reproduisent des schémas d’exclusion en important des travailleurs externes », déplore un responsable éducatif local sous anonymat. Abdellatif Ibrahim Djibrine pointe un paradoxe : « Ces mêmes structures forment des jeunes *ici* lors d’ateliers, puis ignorent leurs compétences quand il s’agit d’embaucher. » Une situation qui alimente, selon lui, un sentiment d’abandon chez une jeunesse pourtant désireuse de s’investir dans le développement local. La lettre de l’AJEDH appelle à une « révision immédiate des critères de recrutement » et à l’instauration de quotas pour les diplômés du Sila dans les projets humanitaires.
Elle demande également la création d’une plateforme de collaboration entre les ONG, les autorités et les associations jeunesse. Contacté, le bureau local d’une ONG internationale, qui souhaite garder l’anonymat, reconnaît « des déséquilibres à corriger » mais évoque des « impératifs de neutralité » dans le recrutement. Une position que balaie le jeune Abdellatif : « La neutralité ne doit pas servir d’excuse à l’injustice. Si on ne fait pas confiance aux fils du terroir, qui le fera ? » Alors que le Sila lutte pour stabiliser son tissu social, la colère des diplômés sans avenir rappelle une évidence : l’aide humanitaire ne saurait être durable si elle ignore ceux qu’elle prétend servir. Reste à voir si cet appel, porté par une jeunesse déterminée, trouvera écho au-delà des réunions protocolaires ou s’il rejoindra la longue liste des promesses ensevelies sous les défis du quotidien. La rédaction
